Spinoza, Préface au T.T.P.

Publié le par philodamas

« Si les hommes avaient le pouvoir d’organiser les circonstances de leur vie conformément à leurs désirs, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient pas en proie à la superstition. Mais on les voit souvent acculés à une situation si difficile, qu’ils ne savent plus quelle résolution prendre. En outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement entre l’espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité. Lorsqu’ils se trouvent dans le doute, surtout concernant l’issue d’un événement qui leur tient à cœur, la moindre affection les entraîne tantôt d’un côté tantôt de l’autre ; en revanche, dès qu’ils se sentent sûrs d’eux-mêmes, ils sont vantards et gonflés de vanité […]. Mais la situation devient-elle difficile ? Tout change : ils ne savent plus à qui s’en remettre, supplient le premier venu de les conseiller, tout prêts à suivre la suggestion la plus déplacée, la plus absurde ou la plus illusoire !

C'est ainsi que les devins n’ont jamais pris plus d’emprise sur la multitude et n’ont jamais été si redoutables aux rois, que dans les pires moments de l’histoire d’un pays […]. En effet : la superstition est le plus sûr moyen auquel on puisse avoir recours pour gouverner les masses (Quinte-Curce, IV §10). Si bien qu’on n’a pas de peine, sous couleur de religion, tantôt à lui faire adorer ses rois comme des dieux tantôt à les lui faire détester et maudire comme des fléaux permanents du genre humain.

Pour éviter ces dangereux retournements, on s’est employé à embellir la religion –vraie ou fausse- d’un cérémonial destiné à lui conférer une importance dominante et à lui assurer de la part des fidèles un constant respect […]. Bien entendu le grand secret du régime monarchique et son intérêt vital consistent à tromper les hommes, en travestissant du nom de religion la crainte, dont on veut les tenir en bride ; de sorte qu’ils combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut, et pensent s’honorer au plus haut point, et non s’avilir, en répandant leur sang et sacrifiant leur vie pour appuyer les bravades d’un seul individu. »

SPINOZA, Préface au Traité théologico-politique



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