Le sujet (conscience, inconscient, désir, autrui)

Publié le par philodamas

Qui suis-je ? Celui qui se pose une telle question formule à son propre égard une demande précise : il se demande quelle est son identité. La réponse à cette question semble d'ailleurs évidente : tout un chacun pourra donner son nom, son prénom, sa date de naissance... et certifier ainsi de son identité, par laquelle il se différencie des autres, prouve et explique sa différence eu égard à autrui. Sous l'angle de la spatialité et de la disposition des corps comme de la séparation des esprits, l'absence de toute confusion entre moi et l'autre semble de la sorte impliquer que nous ayons des identités distinctes : nous tenons de cette façon à notre identité pour autant qu'elle confirme notre séparation par rapport à autrui, elle confirme le fait de notre différence. Cependant, assigner ainsi une identité à un sujet n'en reste pas moins problématique : car cette identité que l'Etat codifie, qu'autrui m'attribue, ou que je m'approprie en général semble bien également entrer en contradiction avec la temporalité de mon existence. D'un instant à l'autre n'ais-je pas déjà changé ? Mes pensées se sont modifiées, mes impressions ont varié, je ne suis déjà plus dans le même état d'esprit, et même mon corps a vieilli. Comment alors fixer une identité à ce que je suis, moi qui ne cesse de changer, de m'altérer et de me modifier dans la durée de mon histoire ? Ce paradoxe rejoint celui que Plutarque énonçait dans les Vies parallèles à propos du Bateau de Thésée. L'identité du sujet n'est-elle pas qu'une fiction commode, une convention sociale à laquelle je tiens peut-être à croire mais qui est en réalité toujours emportée par l'écoulement du temps ? Si tel était le cas cependant, comment alors interpréter le sentiment de cette identité, dont la perte me ferait souffrir au point extrême de la folie ? N'a-t-on pas admis que notre différence avec autrui impliquait une différence d'identité ? Comment comprendre que je me sente toujours l'unique et seul sujet de mon histoire, comme si celle-ci tenait sa cohésion de ce qu'elle est l'histoire d'une seule et même personne ? En ce sens, n'est-il pas possible d'articuler identité et changement du sujet en considérant celui-ci comme l'auteur de sa propre histoire ? Ou bien faut-il au contraire affirmer que cette subjectivité autonome n'est qu'une fiction, une croyance sédimentée dans le langage et sans réalité effective (1) ? En effet, se déterminer comme une substance, n'est-ce pas manquer précisément ce qui me distingue de toute chose : mon existence, qui me projette toujours au-delà de moi-même ? Il faudrait dans ce cas admettre et assumer que je ne coïncide jamais avec moi-même dans l'existence, et que le sujet n'est jamais réductible à l'identité de son moi, que lui assigne autrui dans un acte de réification (2). Toutefois, ce projet lui-même, qui n'est autre que le désir, n'est peut-être pas sans fin : si je ne suis pas immédiatement moi-même, ne puis-je en effet tenter de le devenir ? Ne puis-je pas me réaliser ? Etre soi-même, n'est-ce pas en ce sens un objectif plutôt qu'une donnée de départ ? L'identité du sujet serait alors non pas tant son état présent que la fin permanente qu'il vise sans discontinuer dans son (ses) désir(s), éventuellement au travers de la reconnaissance essentielle d'autrui, compris comme constitutif de ma réalisation comme sujet (3). Enfin, si je me découvre alors à la fin comme sujet du désir, et précisément sujet du désir de l'Autre, ne dois-je pas également accepter que ce désir se constitue sur le fond d'une part d'inconscient, part de désir refoulé par le rapport à l'autre en une part de moi-même interdite à ma conscience ? Devenir sujet ne signifierait-il pas alors bien davantage devenir assujetti en soi (à la loi de l'Autre) que libre ? (4)

1. Identité et temporalité du sujet

(a) conscience de soi et connaissance de soi

Descartes, Méditations métaphysiques
Spinoza, Ethique I (Appendice)

(b) le temps comme impossibilité d'être soi-même

Hume, Traité de la nature humaine
Nietzsche, Par-delà bien et mal (DM)

2. Le sujet et le moi : existence et chosification

(a) le temps de l'existence

Sartre, L'existentialisme est un humanisme

(b) le sujet, le moi, et l'autre

Sartre, L'être et le néant

3. Réalisation du sujet et désir de désir

Hegel, Phénoménologie de l'Esprit (La dialectique du maître et de l'esclave)

4. L'inconscient, l'assujettissement, la subjectivation

(a) la construction sociale du sujet

Freud, Etudes sur l'hystérie, "Le cas Elizabeth"
Freud, Pour introduire le narcissisme

(b) pensée et politique du sujet

Foucault, Surveiller et punir (l'âme, prison du corps)
Bourdieu, Méditations pascaliennes (violence symbolique et illusio)
Foucault, La volonté de savoir, L'usage des plaisirs (résistance et puissance de la pensée)

Publié dans Les introductions

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